
AUX GARDIANS
Folco de Baroncelli
Parce qu'un même amour patrial nous rassemble
et que nous possédons même langue et même foi,
parce que nous rêvons des mêmes grands devoir
sous le soleil qui nous éclaire...
Laissez-moi vous offrir mon plus vibrant hommage
ô frères de Camargue, ô fils de mon pays !
Et laissez-moi fidèle à notre vieux parler,
vous dire combien je vous aime !
Vous êtes les derniers preux d'un lumineux empire,
les derniers chevaliers d'une racequi meurt...
Et c'est pourquoi j'exalte et je salue -
votre hardiesse triomphante
Félibre, j'ai vécu votre idéal insigne,
j'ai nourri ma pensée de vos rêves amis,
et, comme vous aussi, je me suis fait gardien
de la patrie qui nous est chère.
Quand le Valergue au front et la taillole aux hanches,
poitrine au vent, et le mollet raidi par l'étrier,
je vous ai vu foncer, fougueux, en plein soleil,
dans un tourbillon d'avalanche..
Lorsque je vous ai vus dans la splendeur des cirques
ou dans le "plan" coquet d'un village rieur,
tomber superbement la vache dans le "rond",
et l'assujettir sous votre arme ;
Lorsque devant le peuple haletant,qui vous aime
je vous ai vus bondir, libres, vaillants et forts
et le cœur secoué d'une ardente folie
dans la clarté des heures belles ;
Lorsque j'ai vu passer l'étincelle latine
dans les yeux pleins de feu des jouvenceaux tassés,
lorsque, au fond de leur cœur j'ai senti palpiter
l'amour sacré de la "bouvino" !
Des rives du Vidourle aux confins de Camargue
où la langue chante aux lèvres et dans les cœurs,
quand je vous ai vus mêler dans un bel enthousiasme
nos chansons à vos charges !
Lorsque je vous ai vus porter l'ardeur qui vous enflamme,
des fêtes de Lansargues à celles de Montfrin ;
quand j'ai perçu, gardians, le chant de vos refrains
dans le tumulte ou dans le calme ;
Quand j'ai vu, fiers jouvents, votre feutre en bataille,
s'incliner protecteur, vers le ruban soyeux
des jeunes filles, et voisiner vos vestes de velours
avec leurs costumes de reines ;
Lorsque je vous ai vus sourir aux arlésiennes
et couronner leur front du diadème de beauté,
lorsqe je vous ai vus nourrir votre fierté,
de la parol mistralienne...
Vaillants, qui grandissez l'âme de notre race
et qui lui présentez l'image d'un drapeau,
sur la dernière fleur , sur le dernier lambeau
de la patrie qui s'émiette...
J'ai pensé, chaque fois, qu'avec les taureaux sauvages,
et la "sansouire" vierge et les longs "segonneaux",
c'était toute la lumière du pays provençal
que vous défendiez à boulets rouges.
J'ai pensé qu'en sauvant la cabane de chaume
et l'agreste pays des saladelles en fleur,
c'étaient les traditions d'un peuple et ses fidélités
que vous gardiez contre la haine....
J'ai pensé qu'en luttant pour son âpre Camargue,
Folco, dernier grand prêtre de ces lieux inviolés,
luttait pareillement pour les rêves sacrés,
pour les souvenirs et les espérances.
J'ai pensé que le Mage inspiré de Maillane
avait souvent tourné les yeux vers l'Amarèu,
pour voir s'éclairer l'aube des jours nouveaux
sur notre mer aux blonds rivages.
Et j'entendais alors les paroles du Maître :
"La langue et les taureaux sauveront le Pays,
si nous en imposons le respect à Paris
dans notre République!..."
Et la langue a chanté,par vous, toujours vivante,
dans les cirques bruyants, flamboyants de soleil,
quand les taureaux y faisaient s'agiter leurs rubans
devant les foules frémissantes...
"La langue et les sauveront la patrie..."
Et la langue a chanté dans vos gais festivals,
mêlant ses rythmes clairs au beuglement des fauves
et faisant fuser l'allégresse...
Notre langue et les taureaux !... Tout ce qui nous reste aujourd'hui d'un splendide et merveilleux passé,
tout ce que nous avons sauvé du patrimoine
de nos aïeux et de leur geste...
Et parce que, gardians, vous défendez ces choses
contre l'oubli des âmes et le mépris cruel,
j'exalte votre troupe et salue fièrement
votre généreuse vaillance.
C'est beau, frères gardians, de pouvoir dire au Monde :
"J'ai lutté pour ma terre et ma race, à cheval !"
C'est beau de pouvoir dire : " en sauvant les bouvau,
j'ai gardé notre ciel franc de toute souillure..."
C'es beau de pouvoir dire, en proclament sa foi
devant les renégats, les pillards et les gueux :
" j'ai brandi mon trident au soleil provençal
pour la patrie de mes ancêtres !..."
Et c'est pourquoi je ous admire et je vous aime,
Gardians qui prodiguez d'idéales clartés
sur le bel estrambord de nos rêves ailés
auréolés de vos sourires !
Dans un monde oublieux de toute poésie
qui ne croit plus au Rêve et se rit de l'Amour,
vous faîtes resplendir, sous votre fanion,
un idéal qui réconforte et vivifie !...
Traduction d'un poème provençal
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